mardi 12 décembre 2006

Texte envoyé par Gelzy

En entrant chez elle, Eva aperçut une lettre posée sur le télévision près de l'entrée. C'est là que le postier déposait le courrier. Dans le petit village tranquille, on ne fermait pas à cette époque encore les portes à clé. En tout cas, pas elle.

J’espérais, pensa-t-elle, en découvrant la lettre.
Puis elle rectifia, à voix haute, « j’espère … »

Elle entreprit de ranger au frigo les légumes, le fromage qu’elle venait d’acheter à l’épicerie. Le panier vidé, elle resta là, les bras ballants, face à la porte du frigo, le dos ostensiblement tourné à la télévision et à la lettre …

Les enfants rentreraient bientôt, elle avait juste le temps de cuisiner quelque chose mais pourquoi avait-elle tout rangé dans le bac ? Ça ne lui ressemblait pas cette incertitude, ce manque de logique dans l’enchaînement de ses gestes.

J’espère, répéta-t-elle … mentalement. Superstitieuse, elle évita de convoquer de faux espoirs à l’ouverture de la lettre. Et puis sa voix avait résonné étrangement dans la cuisine. Un timbre de voix qu’elle ne se connaissait pas. On n’y entendait pas son accent, son cher accent, sa marque qui, en toutes occasions, la rassurait. Hongrois, roumain, allemand, polonais ? de là-bas, quelque part à l’Est, certains disaient encore « boche » pour allemand, séquelles de la guerre. Elle savait que les voisins continuaient à se poser des questions. D’où venait-elle? Plutôt que le lui demander carrément ils préféraient continuer entre eux à l’appeler « l’étrangère » . Elle n’était pas d’Ici, de Chez-Nous. Voilà!

Elle n’avait pourtant rien à cacher. Elle ne fermait jamais sa porte. Ne craignait pas les voleurs. Ni poules dans le poulailler, ni lapins dans les clapiers, ni cagnotte sous la pile de draps. Pas besoin de double tour, de porte, de portail. Tout ouvert, même le cœur. Mais les voisins avaient si peur qu’on leur chipe leurs pauvres habitudes, leurs petits soucis. Que sa porte soit toujours ouverte ne les intéressait pas. Elle continuait pourtant à espérer qu’ils la franchissent. Qu’est-ce qu’elle leur offrirait? le café. Un verre de vin? Elle ne savait pas ce que les voisins partageaient quand ils se rencontraient. Oh rarement! Chacun chez soi!

Tout de même pas le champagne? Elle n’avait pas les moyens de leur offrir le champagne. Bah! Ils prendraient ce qu’elle aurait ce jour-là!

Elle répéta « J’espère … » écouta. Le ton bizarre avait disparu. C’était bien elle qui parlait au frigo, à la télévision, à la lettre.

La lettre resta quatre jours sur la télé sans qu’elle la touche, sans qu’elle la regarde. Sans qu’elle vérifie d’où elle venait. Cela ne ressemblait pas à Eva. D’habitude elle sautait dans l’eau. Plouf! Confiante en la nage olympique qu’elle tenait de son éducation sportive communiste. Pas une seule fois sa technique et sa détermination ne lui avaient fait faux bond! Elle avait toujours eu la chance de maintenir la tête hors de l’eau malgré les courants contraires, changeant de direction à temps pour mieux repartir toujours en avant.

C’est lui qui s’en avisa en rentrant «Qu’est-ce que c’est que cette lettre? Qui t’a écrit? Réponds!» beugla-t-il avant même qu’elle s’approche. Et bien que la lettre porte très clairement son nom à elle, uniquement son nom, il craqua l’enveloppe d’un coup sec, déplia les feuillets serrés, s’approcha menaçant et les brandit sous son nez. Ils étaient couverts de signes cabalistiques dans une langue inconnue.

Eva pensa qu’il lui faudrait sans doute toute une vie pour déchiffrer le message, haussa les épaules, fit semblant de jeter la lettre à la poubelle derrière la cuisinière mais la glissa dans sa poche. Très calmement elle revint mettre la table, sortit la bouteille de vin et le bon dîner qu’elle préparait toujours à chacun de ses retours pour le calmer;

A table! Lavez-vous les mains!
Elle appela les enfants.
Oui, pour eux, et aussi pour elle, elle saurait apprendre la langue exacte, le ton juste, recevoir et distribuer toutes les lettres qui lui arriveraient.
Avec le même début, que vous viendrait à vous? Ou choisissez une autre début, et envoyez ce que vous avez écrit.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

j'aime beaucoup le style de l'écriture ...
A peine a-t-on lu les premiers mots qu'on plonge dans l'histoire, qu'on se met à la place d'Eva ....
Qu'on imagine presque la suite .... enfin, une suite, celle qui nous vient ;-))

j'ai beaucoup aimé !

Sophos