lundi 4 décembre 2006

écrire, comme qui?

On nous donne souvent des exemples des textes classiques, ou alors des textes des romans ou nouvelles populaires récents. Mais il y a des auteurs, comme Dumas, à la fois classique et populaire.

Dumas écrivait avec verve. Il a été très prolifique (il a énormément écrit et publié), et encore à ce jour, après 150 années, ses romans sont traduits en tous les langues et connus, ses héros restent vivants et dans nos mémoires.

Reprenez quelques romans de Dumas, ou allez les lire sur le net (j'ai trouvé un site qui publie des textes tant de ses articles que des romans). Quelle sens de scène, de dialogue. Avec quelques mots, un personnage devient vivant, là, devant nous.

Il a écrit quelque part, d'un autre auteur "et la vérité ne venait déranger la véridicité d'une bon scène ou phrase". Bien, lui aussi a préféré que la phrase tourne bien, que la scène a l'air véridique et soit vivant, plutôt que se coller trop près a la vérité. Il a récréé ainsi tout un pan de l'histoire de France qu'on a l'impression de vivre avec lui.

Il a inventé des personnages - on dit "différentes facettes de lui" mais aussi de ceux qu'il a connu à travers sa vie. Il s'est laissé aidé quand il en avait besoin, et alors?

J'ai commencé à lire "Mes mémoires" publié par Plon (1000 pages seulement de 3000, mais bien choisis). Quelle verve! Combien des scènes et récits inoubliables! Ces dix pages par exemple sur son professeur de violon, à qui tant des aventures arrivaient, et qui... ne l'avait jamais en réalité appris jouer finalement de cet instrument. On a l'impression d'y être, avoir vécu avec ce Hiraux, avoir subit les malheurs qui lui sont arrivé, les tours qu'on lui avait fait. Et le voir sourire, raconter, amuser toujours. Et même, dans ses dix pages sur Hirraux, il place encore une autre histoire sur quelqu'un d'autre, comme une paranthése.

Je me disais, qu'il sera dur de parcourir ses mille (voir trois mille) pages de mémoires, mais pas du tout, c'est amusant de début à la fin. Même si, d'après les quelques notes au dessous, il ne se tient pas rigoureusement à la vérité. Il recréé encore une fois, pour ses lecteurs, dans le journal où c'était publié vers 1850, quand réfugié devant ses créditeurs à Bruxelles, il avait besoin de l'argent, tout une époque, tout une vie se déroulant devant nos yeux émerveillés.

Il avait trois ans seulement quand scène arriva à son père, il le décrit ainsi:

C'était la première fois que mon père avait affaire à la connétablie. Elève à Saint-Domingue, où il n'y avait aucun tribunal de maréchaux, il n'était pas au courant des pratiques de l'institution.
- Pardon, monsieur, dit-il au garde : vous venez de m'annoncer, je crois, que vous vous attachiez à ma personne?
- J'ai eu cet honneur, monsieur, répondit le garde.
- Voudriez-vous avoir la bonté de m'expliquer ce que cela veut dire ?
- Cela veut dire, monsieur, que, de ce moment à celui où le tribunal du point d'honneur aura décidé de votre affaire, je ne vous quitterai plus.
- Vous ne me quitterez plus ?
- Non, monsieur.
- Comment, vous allez me suivre ?
- Oui, monsieur.
- Partout où j'irai ?
- Partout.
- Même chez madame ?
Le garde s'inclina avec une politesse exquise.
- Même chez madame, répondit-il.
- Même chez moi ? continua mon père.
- Même chez vous.
- Dans ma chambre ?
- Dans votre chambre.
- Oh ! c'est trop fort, cela !
- C'est ainsi, monsieur.
Et le garde s'inclina avec la même politesse que la première fois.
Mon père avait bien envie de se débarrasser du garde de la connétablie comme il s'était débarrassé du mousquetaire. Mais toutes les réponses et même les injonctions que nous venons de rapporter lui avaient été faites avec une telle courtoisie, qu'il n'y avait pas moyen de se fâcher.
Mon père reconduisit la dame jusqu'à sa porte, la salua aussi respectueusement que le garde de la connétablie l'avait salué lui-même, et ramena chez lui le délégué de MM. les maréchaux de France.
Celui-ci s'installa dans son appartement, sortant avec lui, ne le quittant pas plus que son ombre.

Il parait, que à cette époque, les écrivains étaient payés à la ligne, les mauvais langues disent qu'à cause de cela qu'il a tant des dialogues courtes... mais les dialogues courtes, très modernes maintenant, donnent une dynamique et une force à l'écrit. Non, ce n'est pas Hemingway qui les a "inventé" 70 après Dumas!

Voilà ceci, écrit beaucoup plus tard, sur la genèse de livre de son fils, dont on a tiré ensuite Traviata, la dame au camélias. Juste une scène avec ses dialogues.

A onze heures, Alexandre s'approcha de moi.
- Est-ce que la fumée des cigares ne te fait point mal ce soir ? me dit-il.
- Elle me fait toujours mal, ce soir comme les autres jours. Mais, que voulez-vous ! puisque votre génération ne peut plus vivre que dans les tabagies, il faut bien que les autres s'habituent à respirer de la fumée, au lieu de respirer de l'air.
- Voyons, j'ai pitié de toi, veux-tu que nous nous en allions ?
- Je ne demande pas mieux.
- Viens, alors.
Nous nous levâmes, nous prîmes nos chapeaux, et, au milieu des instances du maître de la maison pour nous faire rester, nous donnâmes la main aux hommes, baisâmes les femmes au front, et sortîmes.
- Pouah ! fis-je en secouant mon paletot pour en faire sortir l'odeur de la fumée, et aspirant l'air de la rue à pleins poumons, qui m'aurait jamais dit que je trouverais un jour que cela sentait bon, dans les rues de Paris !
- Allons ! te voilà à cheval sur ton dada, me dit Alexandre. Comment donc faisais-tu pour fumer en Afrique ?
- En Afrique, mon cher, je fumais du tabac du Sinaï, dans lequel je râpais de l'aloès. Je le fumais dans une chibouque à tuyau de cerisier et à bouquin d'ambre, circonstances qui faisaient de la fumée un parfum, au lieu d'en faire une infection. Oh ! les Orientaux sont une race trop sensuelle pour se noyer, comme nous, dans la nicotine pure. Par bonheur, et comme compensation, il y avait chez Vladimir d'excellent thé.
- Tu aimes donc toujours le thé ?
- Autant que je déteste le tabac.
- Veux-tu que je t'en fasse prendre de meilleur encore que chez Vladimir ?
- C'est difficile.
- Pourvu que ce soit possible, c'est tout ce qu'il faut.
- Quand ?
- Ce soir.
- Où ?
- Dis oui ou non.
- Oui !
- Viens, alors.
- Chez qui ?
- Ne t'inquiète pas, c'est moi qui te présente.
- Alors c'est chez une femme.
- Qui désire te connaître.
- Soit !
- Allons.
Nous nous sommes habitués, Alexandre et moi, à ces mutuelles et fréquentes présentations à des inconnus sur lesquels nous ne nous demandons jamais d'autres renseignements que ceux que nous jugeons à propos de donner sans qu'on nous les demande.
Je le suivis donc aveuglément, aussi aveuglément que, trois ou quatre ans auparavant, j'avais, dans un couloir du Théâtre-Français, passé ma tête par l'entrebâillement de la porte d'une baignoire.
Nous arrivâmes...

Aucun commentaire: